Par Moha ENNAJI (*)
Le mariage des mineurs en Afrique du Nord : Il reste encore
beaucoup à faire
Cette année,
environ 12 millions des enfants du monde
seront mariés avant d’avoir 18 ans. Les chiffres de l’UNICEF suggèrent
qu’environ 18 % d’entre eux seront des garçons et environ 82 % des filles.
Le mariage des enfants
est répandu dans les pays en développement, à travers les cultures et les
religions. Il viole les droits des enfants et a
des conséquences étendues et à long terme.
Il est motivé par l’inégalité des sexes, la pauvreté, les traditions
patriarcales et la situation socio-économique précaire des femmes, en
particulier dans les zones rurales.
La pratique se poursuit
au Moyen-Orient et en Afrique, même si de
nombreux pays ont des lois l’interdisant. En Afrique de l’Ouest, le taux le plus élevé
est au Niger : 76 % des mariages impliquent des enfants.
Viennent ensuite la République centrafricaine avec 68 %, le Mali avec
52 % et la Guinée avec 51 %. En Afrique du Nord, le
chiffre pour la Mauritanie est de 37 % ; l’Égypte 17 % et le
Maroc 13 %.
Quelques signes encourageants en Afrique du Nord
Les mariages d’enfants
décroissent lentement. Les progrès les plus spectaculaires concernent le
mariage des filles de moins de 15 ans. En Afrique du Nord, le pourcentage
de femmes mariées avant l’âge de 18 ans a diminué de moitié environ,
passant de 34 % à 13 % au cours des trois dernières décennies.
Néanmoins, les mariages d’enfants sont encore répandus dans la région.
Dans notre livre « Le mariage des filles mineures au
Maghreb », nous explorons l’impact des mariages d’enfants. Nous
montrons en particulier à quel point le mariage de filles mineures a un effet
dévastateur sur leur vie. Nous montrons également en quoi cela empêche les pays
d’atteindre les objectifs de développement durable de l’ONU. Ceci est
particulièrement vrai en matière d’éducation, de santé, d’égalité des sexes et
de lutte contre la pauvreté.
Pourtant, le problème
est rarement intégré au débat national sur le développement et souvent négligé
par les gouvernements. Le livre montre que le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ont ratifié les traités
internationaux sur les droits humains et adopté des conventions
universelles, mais ne les ont pas tous mis en pratique.
En Afrique du Nord,
quelques progrès ont été notés en matière d’éducation des filles.
Certes, il y a eu des
signes encourageants. Les trois pays d’Afrique du Nord ont progressé dans l’éducation des filles et l’amélioration
de leurs conditions de vie au cours des quarante dernières années. Cela a
contribué à la diminution du nombre de mariages d’enfants. Ce sont de bons
exemples d’interventions efficaces pour mettre fin au mariage des mineurs.
Mais le Maroc, en
particulier, a encore beaucoup à faire. Plus de 30 000 filles mineures ont
contracté des mariages arrangés en 2018. Le pays a réformé son code de la famille en 2004,
mais permet toujours aux jeunes filles de se marier avant l’âge légal de
18 ans avec l’autorisation d’un juge et dans des circonstances telles
qu’une grossesse. Les conditions restent vagues. C’est aussi un pays où
la violence à l’égard des femmes ne
recule pas.
Les contraintes demeurent malgré les conséquences
Plusieurs facteurs
économiques, sociaux et culturels sont à l’origine du mariage des mineurs. La
pauvreté et les anciennes traditions forcent souvent les jeunes filles à se marier avant l’âge légal.
Les familles pensent qu’il y aura une personne de moins à nourrir quand une
fille ira chez son mari.
L’honneur de la famille
est une raison souvent citée. Les familles oublient que le mariage des
enfants conduit fréquemment à la violence conjugale,
au divorce et parfois même au suicide.
Malheureusement, les
mesures juridiques visant à protéger les femmes et les filles en criminalisant
le mariage des enfants se heurtent à des entraves considérables. Celles-ci
incluent une culture conservatrice, l’attitude de fanatiques religieux et la
discrimination fondée sur le sexe.
Les conséquences du
mariage des enfants peuvent être dévastatrices. En effet, les petites filles
voient très souvent leur enfance écourtée et leur adolescence confisquée. Elles
s’exposent aussi à des risques médicaux. Beaucoup d’entre elles ne survivent
pas à la première grossesse et meurent pendant l’accouchement. Elles peuvent
également souffrir de problèmes de santé mentale et être obligées d’abandonner
leurs études.
Des étapes pour mettre fin au mariage des enfants
Les organisations de
femmes et de défense des droits humains soulignent la nécessité de mettre fin
au mariage des enfants par le biais d’une législation. Elles appellent
également à des sanctions sévères contre les violations de la loi et la
violence à l’égard des femmes.
Nous soulignons, dans
le livre, également la nécessité d’élaborer et de mettre en œuvre des lois et
des politiques criminalisant le mariage d’enfants. Tous ces mariages, sans
exception, devraient être rendus illégaux. Les faciliter ou y participer
devrait être érigé en infraction pénale.
Mais la voie légale ne
suffit pas. D’autres étapes doivent être considérées. Celles-ci
comprennent :
* Concevoir un
dispositif de sensibilisation des parents et des jeunes. Les recherches
montrent que certains parents ne sont pas conscients des
conséquences du mariage des enfants et qu’ils sont prêts à changer quand ils en
prennent conscience. Beaucoup marient leurs filles simplement parce que le
mariage précoce est la seule option qu’ils connaissent.
* Une stratégie
nationale pour l’intégration des femmes dans le développement économique,
social, culturel et politique. Une façon de le faire serait d’introduire des
projets générateurs de revenus pour les familles pauvres, en particulier dans
les zones rurales et éloignées. Cela compléterait le travail accompli par
l’État et les organisations de la société civile pour éliminer – ou du moins
réduire – l’analphabétisme, la pauvreté et les inégalités.
* Des efforts concertés
sont nécessaires afin d’assurer l’éducation des femmes
* Un meilleur accès aux
soins de santé
* Du soutien et du
financement aux organisations de femmes pour la protection des droits des
filles.
Pour atteindre l’objectif de développement durable et
éliminer le mariage des enfants d’ici 2030, les gouvernements et les dirigeants
de la société civile en Afrique du Nord doivent poursuivre leurs efforts en
réformant leurs codes de la famille respectifs.
(*) Moha ENNAJI :
* Professeur de linguistique, de genre et d'études
culturelles, à l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah de Fès.
* Écrivain et
chercheur marocain. Ses livres les plus récents sont :
- Minorités,
Femmes et État en Afrique du Nord.
- Féminismes
Marocains.
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